Préface

Vers le début du XXe siècle, le chauffage au fuel, l’invention de l’automobile et de la locomotive à essence, avaient décuplé l’importance du Moyen-Orient aux yeux des grandes puissances, car c’est là que semblaient se trouver les plus grandes réserves de pétrole du monde.

Il avait déjà suscité l’avidité des rapaces quand il n’était encore question de l’utiliser que pour allumer des lampes. Il provoquera bien plus de massacres quand il pourra servir à faire marcher des machines de guerre.

Pour améliorer les performances de sa marine, l’Angleterre avait décidé de remplacer le charbon par le pétrole. Mais ses industriels n’avaient pas investi dans le pétrole.

Un Australien possédait une concession pour l’exploitation du sous-sol perse (iranien), et cherchait des capitaux pour pouvoir continuer sa prospection. Il prit rendez-vous avec le magnat français du pétrole Edmond de Rothschild. Les services anglais l’apprirent et envoyèrent un espion déguisé en prêtre catholique, qui réussit à pénétrer dans le yacht de Rothschild en prétendant vouloir rassembler de l’argent pour une oeuvre de charité. Prenant le vendeur à part, il le convainquit de céder la concession à l’Angleterre.

Bientôt le pétrole perse commença à jaillir de terre et à alimenter les chaudières de la flotte anglaise, la plus importante du monde.
Durant les années suivantes, l’Angleterre, pour protéger son pétrole, se mêla des affaires de la Perse, et aussi de celles des pays voisins, notamment ceux du Golfe.

Les Libanais, les Mésopotamiens, les Syriens et les Palestiniens vivaient sur la route du pétrole et des Indes et du canal de Suez. Et une grande partie d’entre eux réclamaient l’indépendance. Mais s’ils l’obtenaient, chacun de ces peuples prendrait ses décisions séparément, et les Anglais ne pourraient plus s’assurer le contrôle de la route des Indes et du pétrole anglais.

Inversement, si les Libanais, les Mésopotamiens, les Syriens, les Palestiniens et les Arabes du Golfe et de la Péninsule étaient soumis à un seul État islamique (califat) fabriqué par les Anglais, ils seraient régentés par une dictature fondée sur la charia, qui barrerait la route à la France, l’Autriche, la Russie, la Prusse. Mais non à l’Angleterre qui contrôlerait le calife à l’aide des officiers et des agents dont elle l’aurait entouré, et de l’or qu’elle lui verserait en abondance.

Ce n’était pas la première fois que l’Angleterre faisait cela. En 1840, pour protéger la route des Indes, elle avait fomenté au Liban une guerre civile pour élargir l’aire de domination de l’État islamique ottoman, auquel elle livra le Liban, la Syrie et la Palestine.

Elle croyait ainsi pouvoir contrôler la politique de l’État islamique et protéger la route des Indes, mais ce ne fut pas le cas.
En 1908, voyant que l’État islamique servait les intérêts de la Prusse, elle renversa le calife au bénéfice d’un parti laïque, les Jeunes Turcs.

Ces derniers n’ayant pas abandonné la Prusse, l’Angleterre décidera de les renverser en 1914 en créant un nouveau califat, qui serait arabe, et auquel elle reconnut le droit d’envahir les mêmes pays que l’État islamique arabe du VIIe siècle (exception faite pour l’Europe et les pays occupés par l’Angleterre et la France : la Perse, Aden, l’Afrique du Nord).

Pour permettre à cet État islamique arabe d’envahir les pays qu’elle lui avait promis, l’Angleterre déclarera que les peuples de la région étaient arabes et rêvaient de se soumettre à La Mecque — sans que les peuples concernés n’aient eu leur avis à donner en la matière.

En donnant une identité unique à tous ces peuples, l’Angleterre justifiait aussi son propre rapt de la Palestine et du Liban-Sud qui, dans ce royaume immense, devenaient, selon le ministre anglais Balfour, une « petite encoche » (p. 148) qu’il était possible de prendre sans causer de dommages.

Au temps où cette formule était prononcée, c’est-à-dire durant les négociations qui avaient suivi la Grande Guerre, les Anglais ne se doutaient pas qu’on les chasserait de Palestine, d’Irak et même d’Iran, et que le monstre à plusieurs têtes qu’ils avaient fortifié irait frapper un jour à Londres, à Paris, à New York même, et promettrait d’occuper Londres, Paris et New York, d’en faire des capitales islamiques, et de faire du Vatican une mosquée.

Parmi les têtes de ce monstre, les plus connues s’appellent aujourd’hui Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra.